C'est un étrange centenaire que vient de célébrer, bon gré, mal gré, la République turque, dimanche 29 octobre. Il y a certes eu le défilé militaire – une centaine de navires dans le Bosphore –, la gerbe déposée au monument d’Atatürk, père fondateur de la Turquie moderne, et les feux d’artifice, mais pas de grand discours du président, Recep Tayyip Erdogan. La harangue et le bain de foule avaient eu lieu la veille, à Istanbul, où s’étaient rassemblées plusieurs centaines de milliers de personnes en solidarité avec les Palestiniens. « La plus grande manifestation au monde » contre les frappes israéliennes depuis l’attaque du Hamas du 7 octobre, selon les organisateurs.
Sous les applaudissements, le chef de l’Etat a accusé l’Occident d’être « le principal coupable des massacres à Gaza » et Israël de commettre « des crimes de guerre ». Il a réaffirmé que le Hamas n’était pas une organisation terroriste, comme il l’avait martelé quelques jours auparavant, insistant sur le fait qu’il s’agissait d’un « groupe de combattants de la liberté luttant pour protéger leur peuple ». Face au public, Erdogan a également interpellé les puissances occidentales en les soupçonnant de « créer une atmosphère de croisades » contre les musulmans. Il s’en est pris violemment à Israël : « Gaza, la Palestine, qu’y avait-il en 1947 et qu’est-ce qu’il y a aujourd’hui ? Israël, comment es-tu arrivé ici ? Tu es un occupant, tu es une organisation », et donc, sous-entendu, pas un Etat.
La charge est lourde et singulière pour un président qui venait de rencontrer, fin septembre, son homologue israélien, Benyamin Nétanyahou, après plus de dix ans de tensions. Jamais un pays membre de l’OTAN n’avait nié à Israël son statut d’Etat, et donc son droit à exister. Et même si aucun pays à majorité musulmane ne considère le Hamas comme une organisation terroriste, aucun autre gouvernement n’a soutenu aussi explicitement les militants islamistes depuis le 7 octobre, hormis le régime iranien.
Alors, que s’est-il passé ? Car si Ankara ne fournit pas d’aide militaire au Hamas, comme le fait Téhéran, le gouvernement et la formation du président, le Parti de la justice et du développement (AKP), accueillent en revanche des hauts responsables du Hamas depuis des années sur le sol turc. En pleine vague des « printemps arabes », soutenus par Erdogan, un bureau de l’organisation a été ouvert à Istanbul. Ankara aurait octroyé la nationalité turque à une douzaine de ses membres. Toutefois, comme l’observe le journaliste turc de Die Welt, exilé en Allemagne, Deniz Yücel, « ni les Israéliens ni le Hamas ne semblent faire confiance aux services intermédiaires turcs ; les deux camps préfèrent depuis des années entretenir leurs canaux de négociations plutôt avec le Qatar et l’Egypte ».
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